Саакян Р. Г.
ФРАНКО-ТУРЕЦКИЕ ОТНОШЕНИЯ И КИЛИКИЯ В 1918—1923 гг.
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R. G. SAHAKIAN
LES RELATIONS FRANCO-TURQUES ET LA CILICIE EN 1918—1923
Résumé
La politique française envers la Turquie durant la période de la
guerre nationale de celle-ci occupe une place particulière. La France
était la première puissance de l'Entente qui a établi des contacts
diplomatiques avec le Gouvernement de la Grande Assemblée Nationale
de la Turquie et qui a signé avec lui un accord politique, ne tenant
pas compte de l'avis de ses alliés. Cela s'explique avant tout par
l'existence des intérêts économiques et financiers particuliers
des capitalistes français dans l'Empire Ottoman. La part de la France
dans la Dette Publique Ottomane s'élevait à 61% et elle détenait
la Régie des Tabacs, plusieurs importantes concessions de constructions
de fer, exploitation de mines, de ports etc. La France occupait
aussi une place importante dans la sphère de l'influence culturelle:
la langue française était considérée comme deuxième langue pour
les intellectuels et d'après les données statistiques de 1914 le
nombre des écoles françaises en Turquie s'élevait à cinq cents.
La France étendait son influence aussi par l'intermédiaire des institutions
de bienfaisance: orphelinats, hôpitaux, pensionnats, dispensaires,
asiles de vieillards etc., que l'on trouvait à Constantinople et
presque dans toutes les grandes villes de l'Anatolie.
Le facteur religieux jouait de même un rôle bien défini. Les milieux
gouvernants français déclaraient souvent: «La France est une grande
puissance musulmane» en admettant que leur politique envers la Turquie
peut avoir ses répercussions dans les dépendances coloniales musulmanes
de la France.
De la sorte, les intérêts des monopoles français exigeaient la
sauvegarde de l'Etat turc pour récupérer leurs avoirs et garantir
leurs revenus, au moment où la Grande Bretagne s'efforçait à démembrer
la Turquie vue d'en occuper les territoires les plus riches et plus
importants au point de vue stratégique.
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La France comme concurrente de l'Angleterre au Proche-Orient ne
pourrait pas permettre le renforcement de cette dernière et lutta
de toutes ses forces pour obtenir les territoires qui lui étaient
promis durant la guerre, en premier lieu la Syrie où la France avait
des intérêts particuliers. Pourtant la Grande Bretagne profitant
de sa nette prépondérance militaire au Proche Orient et du fait
que la France dépendait d'elle dans les affaires européennes (questions
de la Saare, de réparations de guerre, de la Rhénanie etc.), s'efforçait
soumettre la politique française aux intérêts de sa propre politique
au proche Orient. D'après les documents concernant la politique
extérieure britannique publiés les dernières années il devient évident
qu'une lutte acharnée a été menée entre les Alliés d'hier au sujet
du partage de l'héritage ottoman et le dépit avec lequel la Grande
Bretagne consentit «à céder» à la France les territoires qui lui
étaient promis par des accords, entre autres la Syrie. Et malgré
que l'Angleterre réussît bien souvent à prendre le dessus envers
sa rivale, la diplomatie française durant ces années-là a entrepris
certaines mesures en vue de défendre sa propre ligne politique dans
la question turque. Déjà à la fin de 1919 elle a fait les premières
tentatives d'entrer en pourparlers avec les Kémalistes, à l'insu
de l'Angleterre. Justement, dans ce but au début de décembre 1919
Georges-Picot, Haut-commissaire français en Syrie et en Cilicie,
partit pour Sivas. Ce voyage n'était pas le fruit d'une initiative
personnelle: Georges-Picot mena des conversations avec Moustapha
Kémal comme représentant du gouvernement français et ce dernier
le reçut comme tel.
Les résultats de ces pourparlers furent les suivants: un projet
d'accord suivant lequel la France s'engageait à rendre la Cilicie
à la Turquie et aussi garantissait l'intégrité territoriale de cette
dernière. La Turquie reconnaissait les droits de la France dans
les questions de l'administration locale et de la protection des
minorités nationales en Cilicie. Malgré que ce projet ne reçut pas
l'assentiment du gouvernement français qui était obligé de prendre
en compte le mécontentement du Foreign Office, la mission de Picot
a été le premier pas dans la voie du sondage diplomatique franco-kémaliste
qui a abouti à la conclusion de l'accord d'Ankara en 1921. Le pas
suivant dans ce sens ont été les pourparlers de Robert de Quai à
Ankara, terminés par la signature du cessez-le-feu du 30 mai au
19 juin 1920 qui a été beaucoup plus favorable au gouvernement d'Ankara
qu'à la France. «...Le fait même, a écrit Kémal, que Français, négligeant
le gouvernement de Stamboul, entrent en pourparlers et concluent
avec nous des accords au sujet de n'importe quelle question, cela
a été pour nous en ces temps-là une grande conquête politique...
Ces pourparlers m'ont fait l'impression que les Français sont prêts
à évacuer le vilayet d'Adana».
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La deuxième étape des relations franco-turques commence après la
signature du traité de Sèvres.
Le traité de Sèvres, qui signifiait la victoire de la diplomatie
britannique sur la française, suscita un vif mécontentement comme
au Parlement Français de même dans les milieux gouvernementaux qui
exigeaient d'annuler ce traité.
«Dès la première heure, a reconnu A. Briand; le Parlement a manifesté
son opposition à la ratification du traité de Sèvres. Il est apparu
dès le premier moment, et je l'ai dit hautement à nos Alliés qu'il
ne fallait pas compter sur le parlament français pour ratifier le
traité de Sèvres tel qu'il était, qu'il heurtait trop violemment
les traditions françaises, qu'il était trop violemment en contradiction
avec nos intérêts, et du moment, et de l'avenir et que c'était une
nécessité de le remettre à l'étude et de le modifier».
L’une des raisons de ce mécontentement était que le traité de Sèvres
d'après les millieux influants antisoviétiques poussait la Turquie
kémaliste dans «les bras ouverts» des Bolcheviks. C'est pourquoi
il fallait faire certaines concessions aux Kémalistes en vue de
les attirer dans le bloc antisoviétique. Et même si ce dernier but
ne fut pas atteint, la diplomatie française réussit pourtant à prendre
le consentement de l'Angleterre à revoir en partie les clauses du
traité de Sèvres.
A la conférence de Londres commencée le 21 février 1921 la diplomatie
française poursuivait deux principaux objectifs: empêcher par tous
les moyens le rapprochement politique soviéto-turc et entreprendre
des pourparlers secrets avec les Kémalistes, les utilisant dans
le même temps contre sa rivale, la Grande Bretagne. La diplomatie
française arriva à réaliser ce dernier but en signant le 9 mars
1921 un accord politique, militaire et économique avec Békir Sami-Bey,
ministre des Affaires Etrangères du gouvernement d'Ankara. Il est
vrai que cet accord ne fut pas ratifié par la Grande Assembée Nationale
de la Turquie, en tout cas il a servi ultérieurement de base à la
conclusion de l'accord d'Ankara.
Après la conférence de Londres un certain refroidissement eut lieu
dans les rapports turco-français causé par ce que la Grande Assemblée
Nationale de la Turquie annula le 3 mai l'accord du 9 mars 1921.
Alors commence une nouvelle étape, l'étape de visites réciproques
et de nouveaux contacts diplomatiques qui furent couronnés par la
signature de l'accord d'Ankara. Toutes ces péripéties de la politique
française au Proche-Orient eurent leurs conséquences néfastes pour
population multinationale de la Cilicie. Le fait est qu' à la différence
de l'Anatolie occidentale et centrale, où vivait une masse compacte
de Turcs, la population d'un demi-million de personnes de la Cilicie
(le vilayet d'Adana et le sandjak de Mara-
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che, qui en fut séparé artificiellement en 1884 et rattaché au
vilayet d'Alep) au début de 1920 comprenait un peu plus de 100.000
Turcs, 160.000 Arméniens, 120.000 Arabes-Ansaris, et 120.000 personnes
d'autres nationalités: Turkmenes, Grecs, Syriens, Kurdes etc.
Ainsi, la population chrétienne de la Cilicie formait plus de 200.000
personnes. Ayant supporté à plusieurs reprises toute la violence
de la politique chauvine d'Abdul-Hamid et des Jeunes-Turcs, il est
compréhensible qu'elle ne désirait plus se soumettre à l'expérience
d'assimilation et à la destruction physique de la part des Turcs
surtout quand il devint évident que les Kémalistes rejettent décidément
le droit d'autodétermination aux peuples de l'Empire Ottoman. C'est
pourquoi quand en novembre 1919 les troupes françaises vinrent remplacer
les forces anglaises en Cilicie, la population chrétienne les a
soutenu dans l'espoir que justement «la France chrétienne» peut
créer des conditions pour une telle autodétermination. Le temps
a démontré qu'elle s'était profondément méprisée. Les milieux impérialistes
français en encourageant le retour des Ciliciens dans leurs propres
foyers se désistèrent vite de leurs promesses en fournissant toute
la possibilité aux unités régulières kémalistes et aux diverses
bandes à déverser toute leur fureur sur la population chrétienne,
spécialement sur les Arméniens, survivants du génocide de 1915.
L'administration française en Cilicie a été coupable aussi de ce
que, en «garantissant» la sécurité des habitants, en particulier,
celle des Arméniens, elle n'a pris aucune mesure pour prévenir l'activité
ennemie d'un grand nombre d'agents Jeunes-Turcs membres de ce même
parti qui a organisé le génocide des Arméniens occidentaux. L'administration
française a été responsable de ce que, en publiant le 6 avril un
décret concernant la remise de leurs biens, maisons et terres aux
survivants arméniens, elle n'a pas assuré l'accomplissement des
clauses de ce décret, créant de la sorte une tension entre les populations
arménienne et turque; cette dernière, travaillée par les agents
jeunes-turcs se refusait à rendre à leurs propriétaires les biens
injustement accaparés.
Ces aspects mêmes et d'autres aspects de la politique française
et de celle des Kémalistes en Cilicie sont traités unilatéralement
et tendencieusement et même sont passés sous silence par les historiens
contemporains turcs et français. Malheureusement certains turcologues
soviétiques dans leurs travaux sur la guerre de l'indépendance de
la Turquie de 1919—1922 présentent les faits de telle manière, comme
si en Cilicie comme en Anatolie la guerre nationale du peuple turc
contre les conquérants étrangers aurait soulevé à la lutte toutes
les populations, toutes les nationalités. Ces auteurs ne se donnent
pas la peine de rétablir le véritable tableau
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de la structure nationale de la population cilicienne; cela qui
rendrait évident qu'une bonne moitié des habitants de la Cilicie
non seulement ne sympatisait pas et ne soutenait pas le mouvement
kémaliste, mais au contraire s'était élevée contre ce mouvement
роur s'en défendre. Or c'est en Cilicie que pour la première fois
on constata les deux faces contradictoires de ce mouvement: d'un
côte anti-impérialiste, de l'autre chauvin et destructeur. Et c'est
justement poussé par la peur que cette moitié de la population cilicienne
pouvait présenter ses droits humains légitimes, les milieux dirigeants
d'Ankara prient la décision de porter le premier coup en Cilicie,
en y envoyant quelques officiers kémalistes pour organisée la résistance
aux conquérants français. Il y a eu, bien entendu, d'autres raisons
qui ont poussé les Kémalistes à commencer la guerre non pas sur
le front occidental contre les Grecs, mais en Cilicie, par la lutte
contre les Français. En voici les raisons.
1. Les opérations contre l'armée grecque bien équipée par des armes
anglaises, pouvaient avoir des conséquences catastrophiques pour
les Kémalistes; il n'y avait pas des garanties réelles de succès
et dans le cas d'une défaite éventuelle le mouvement kémaliste aurait
été discrédié aux yeux des masses populaires et pouvait même se
disloquer.
2. Les forces françaises ayant remplacées les troupes anglaises
en Cilicie étaient relativement plus faibles.
3. Les dirigeants d'Ankara étaient bien au courant du fait que
les milieux influents français étaient favorablement disposés envers
la Turquie et étaient particulièrement interressés aux affaires
turques. Dans le cas d'un certain succès bien éventuel il serait
possible d'entrer en pourparlers séparément avec la France en approfondissant
d'avantage par ce moyen les contradictions anglo-françaises.
4. Pour la réalisation des décisions des Congrès d'Erzéroum et
Sivas il était indispensable d'enthousiasmer le peuple par une victoire
militaire quelconque et à cette période-là cela n'était possible
qu'en Cilicie.
Conséquemment, dans le courant d'un seul mois éclatèrent deux insurrections
à Marache: le 27 décembre 1919 et le 21 janvier 1920. La première
était dirigée principalement contre les notables turcs de la ville
qui collaboraient avec les Français, et non contre tous les exploiteurs
comme cela est présenté dans les travaux de certains auteurs. La
deuxième insurrection minutieusement préparée par les agents kémalistes
en étroite liaison avec les Jeunes-Turcs influents de Marache, poursuivait
le but de rejeter les troupes françaises hors de la ville et dans
le même temps régler les comptes aves la population arménienne de
Marach et des environs. Ce but
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fut atteint: durant les combats de 20 jours à Marache (du 21 janvier
au 11 février 1920) une partie de la population arménienne de la
ville (plus de 8000) fut massacrée d'une manière barbare par les
Turcs, plus de 3000 ont péri pendant leur fuite et ceux qui étaient
restés (8000) furent obligés de quitter leurs foyers après la retraite
des troupes françaises trouvant asile en Syrie.
Mais la raison principale de la triste retraite des troupes françaises
de Marache était la nécessité de renforcer les forces d'occupation
françaises en Syrie, pays qui dans les plans des milieux coloniaux
français occupait une place beaucoup plus importante que la Cilicie.
Après Marache, la population arménienne de Hadjine a été la victime
de la politique de félonie des dirigeants français à l'égard des
Arméniens.
Hadjine, l'une des antiques villes de la Cilicie montagnarde, avait
jusqu'à la première guerre mondiale, une population de 30— 35 mille
habitants, exclusivement Arméniens, dont la plus grande partie a
été victime de la politique du génocide des Jeunes-Turcs: elle a
été déportée par force et massacrée dans le Désert syrien.
Après la fin des hostilités, les survivants de Hadjine rentrèrent
au cours de l'année 1919 dans leur ville natale et restaurèrent
ses ruines en un court laps de temps par leur travail constructif.
Cependant, peu après la retraite des troupes françaises de Marache
les forces régulières kémalistes et plusieurs groupements de tchétés
s'attaquèrent aux habitants paisibles de Hadjine, malgré qu'aucun
soldat français ne s'y trouvât.
Se trouvant dans l'encerclement durant 7 mois (du 15 mars au 15
octobre 1920) la population de Hadjine dont le chiffre atteignait
6 mille, a opposé une courageuse résistance aux bachibouzouks turcs
qui réussirent, grâce à leur supériorité militaire, à occuper Hadjine
le 15 octobre 1920 et à massacrer presque toute la population y
compris les femmes, les vieillards et les enfants sans armes. Rien
que 380 combattants parvinrent à percer l'encerclement et se délivrer.
Les tentatives de certains historiens de passer sous silence ses
événements ou bien de les présenter comme une épisode de la lutte
de libération nationale de la Turquie sont dépourvues de tout fondement
historique. Le massacre des survivants du génocide de 1915 à Hadjine
par les Kémalistes a confirmé la continuation de la politique nationaliste
des Jeunes-Turcs par les Kémalistes et a démontré que ces derniers,
dans de nouvelles circonstances, poursuivent la vieille politique
de leurs prédécesseurs. Dans la chute de Hadjine est coupable aussi
le commandement des forces françaises en Cilicie qui avait refusé
de fournir des armes aux défenseurs héroïques de Hadjine.
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Les événements ont pris une autre tournure à Ourfa et à Aïntab,
villes qui se trouvaient comme la Cilicie, dans la zone d'occupation
française.
A Ourfa la lutte armée contre les conquérants français était dirigée
par le chef de la gendarmerie de la ville, Ali Saïb qui peu après
sa nomination à ce poste s'était aligné du côté des Kémalistes.
En organisant cette lutte, il appliquait dans le même temps la vieille
méthode de la politique du Sultan, de ranimer la haine et l'inimitié
parmi les peuples dominés par l'Empire Ottoman. En particuliers,
il excitait certaines tribus kurdes contre la population arménienne
d'Ourfa, s'élevant à la fin de 1919 à environ 6 mille personnes.
Entre autres, en 1914 près de 30 mille Arméniens vivaient à Ourfa
et qui en la terrible année de 1915 avaient opposé une résistance
héroïque aux troupes régulières turques, et cédant devant les forces
inégales furent déportés dans les déserts de la Mésopotamie où ils
périent en grande partie. Le même sort attendait les survivants
Arméniens à Ourfa s'ils n'avaient eu recours à une neutralité qui
n'était du goût ni des Français ni des Turcs, mais ce qui fournit
la possibilité de sauver la vie à 6 mille personnes. Cependant,
après le départ de la garnison française (en avril 1920) les autorités
kémalistes locales, les massacreurs jeunes-turcs et autres commencèrent
à poursuivre les Arméniens, à avoir recours à la force, aux lâches
assassinats etc., les obligeant ainsi à quitter leurs foyers et
s'établir à Alep et dans la région.
A Aïntab le nombre des Arméniens atteignait 18.000 dont 10.000
étaient originaires de la ville, survivants des massacres dans les
déserts de Deir-Zor et environ 8.000 repliés du vilayet du Sivas.
Les dirigeants kémalistes s'efforçaient de les attirer dans la lutte
contre les Français; mais les Arméniens s'y refusèrent, tenant compte
de la triste expérience du passé. Dans ces circonstances les tchétés
s'attaquèrent aux positions des Arméniens d'Aïntab le 1-er avril
1920. Ces derniers se défendirent courageusement durant 2 semaines,
jusqu'au 16—17 avril, quand les Français se tenaient sur des positions
d'observateurs. Il y eut plusieurs cas où les Turcs de la ville
et les paysans des villages environnants exprimèrent leur vif mécontentement
contre ceux qui les avaient attirés dans une lutte contre leurs
voisins arméniens. De pareils faits sont négligés d'une manière
préméditée par les auteurs turcs ainsi que le fait que les Turcs,
Kurdes, Tcherkesses et autres venus de Malatia, Ourfa, Marache,
Killis et d'ailleurs dans le but de «piller et massacrer les Guiavours»,
bien souvent sont rentrés chez eux, devant l'autodéfense acharnée
des Arméniens. Cette juste lutte des Arméniens d'Aïntab qui dura
plus d'une année les sauva de massacres
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bien probables. En tout cas, ils ne purent rester dans leur ville
natale par suite des événements ultérieurs. Déjà le cessez-le-feu
franco-kémaliste de mai-juin 1920 et plus tard l'accord de Londres
du 9 mars 1921 avaient convaincus les Arméniens que la France est
en mesure de s'entendre avec Ankara à n'importe quel moment, les
abandonnant à leur sort. C'est pourquoi ils furent obligés de quitter
leurs foyers et de s'établir à Alep. Le 25 décembre 1921, au moment
où les derniers soldats français quittaient Aïntab, il ne restait
que 3500 Arméniens dans la ville. Dès le début de 1922, le quartier
arménien fut l'objet d'attaques armées de la part des Turcs, qui
en même temps envoyaient les jeunes Arméniens, sous différents prétextes,
hors de la ville et les tuaient d'une manière félonne etc. Le 9
novembre 1922 le journal «Gazi Antep» dans son éditorial intitulé
«Loin de nous» «invitait» les derniers Arméniens de quitter la ville.
Il ne restait plus rien à ces derniers que d'émigrer en Syrie et
dans d'autres pays.
Zeïtoun, le porte-étendard de la lutte de libération nationale
arménienne connut aussi un sort tragique. Les Arméniens de Zeïtoun
qui durant des dizaines d'années avaient opposé une résistance héroïque
aux pachas sanguinaires turcs, avaient prêté foi en 1915 aux appels
du Catholicos des Arméniens de Cilicie, Sahak II, de ne pas se révolter
et cela donna la possibilité aux troupes régulières turques depénétrer
dans le «nid des aigles» de désarmer les vaillants défenseurs de
la ville et de déporter toute la population de la ville et des villages
arméniens des environs, plus de 30 mille personnes dont la majorité
(environ 27 mille) furent tué sur les chemins de déportation et
dans les camps de concentration de Deir-Zor pendant les terribles
massacres de 1916. Après la fin des hostilités, 1058 survivants
de Zeïtoun rentrèrent dans leur ville natale détruite jusque dans
ses fondements. Et malgré que là-bas, comme à Hadjine il n'y eût
aucun soldat français et que les paysans Turcs des environs, depuis
des temps reculés, avaient entretenu des relations de bon voisinage
avec les Zeïtouniotes, les troupes régulières kémalistes forcèrent
les Arméniens de cette ville, sous le feu de leurs canons, à battre
en retraite. Les 600 Arméniens dont la plupart étaient des femmes,
des enfants et des vieillards, laissés à la merci des vainqueurs,
furent déportés à Marache et vers le Sud. D'après des témoins oculaires
étrangers, cette dernière déportation des Arméniens de Zeïtoun ne
différait en rien de la déportation de 1915. Au sujet du sort ultérieur
de ces gens, on ne sait rien de précis. Probablement ils furent
tués sur le chemin d'exil. Le groupe des défenseurs qui s'étaient
repliés les armes à la main, dans les montagnes, répondant toujours
aux charges des ennemis qui les poursuivaient, atteignirent Killis,
en zone d'occu-
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pation française. Le nombre des survivants de Zeïtoun n'était plus
que de 127 personnes.
Ainsi, la politique française en Cilicie et en général sa politique
au Proche-Orient, eut des conséquences désastreuses pour les peuples
de Cilicie, surtout pour les Arméniens qui étaient rentrés dans
leur pays natal, justement répondant à l'appel des autorités françaises,
mais ces dernières, en violation de leurs promesses, n'assurèrent
pas leur sécurité. Au surplus, la politique française d'entente
séparée par un compromis avec les Kémalistes qui mena à l'accord
d'Ankara fournit la possibilité aux milieux Kémalistes de mettre
en oeuvre les desseins chauvinistes de leurs prédécesseurs, les
Jeunes-Turcs et de «nettoyer» définitivement la Cilicie des Arméniens.
La signature de l'accord d'Ankara fut précédée de deux voyages
en Turquie de Franklin—Bouillon, président de la commission des
Affaires Etrangères du Sénat Français. La première fois il arriva
à Ankara en «visite non-officielle» le 9 juin 1921 et le même jour
il entra en pourparlers directs avec M. Kémal. Malgré que ces entretiens
de deux semaines ne fussent pas couronnés de succès pour la raison
que la France refusait encore d'accepter comme base (de pourparlers)
le «Pacte national» kémaliste, en tout cas ils démontrèrent que
«la France désirait à tout prix conclure un accord de paix». Békir
Sami Bey qui se trouvait à Paris à cette époque a déclaré que de
son côté «le gouvermement d'Ankara et l'Assemblée nationale désiraient
au plus bref délai se lier d'amitié avec la France».
Franklin—Bouillon visita Ankara encore en septembre. Les pourparlers
qui cette fois durèrent 37 jours se terminèrent par la signature,
le 20 octobre 1921, de l'accord d'Ankara, or, la victoire remportée
par les troupes turques à Sakaria influa grandement sur la décision
du gouvernement turc. Il ressort de l'analyse des clauses de l'accord
d'Ankara que la Turquie gagna beaucoup plus que la France. La cessation
des opérations militaires et l'évacuation de la Cilicie créèrent
la possibilité de lancer d'importantes forces militaires sur le
front occidental, contre les Grecs.
L'art. 6 concernant la «protection» des minorités nationales était
une évidente victoire du gouvernement d'Ankara; en effet, au lieu
de la reconnaissance des droits des minorités, cette question fut
liée aux déclarations «solennelles» et imprécises du «Pacte national».
Les concessions de la France sur ce point devenaient encore plus
grandes du fait que, contrairement à l'accord de Londres du 9 mars
1921, dans l'accord d'Ankara ne figuraient plus les clauses d'obligation
du gouvernement turc de désarmer les populations de la Cilicie;
cela signifiait que les milliers de «tchétés» armés jusqu'-
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aux dents, les bandes armées, organisées dans le but de pillages
et violences et toutes sortes d'autres malfaiteurs pouvaient continuer
de terroriser impunément les populations chrétiennes sans armes.
L'art. 7 concernant le régime administratif spécial du Sandjak
d'Alexandrette constituait aussi une sérieuse concession que la
France fit contre les intérêts du peuple syrien. Ce même article
servit ultérieurement de prétexte aux dirigeants d'Ankara de faire
de la question d'Alexandrette un objet de marchandage de la diplomatie
internationale et de rattacher d'une manière illégale Alexandrette
à la Turquie au moyen de combinaisons impérialistes. En outre, selon
les clauses «verbales» de l'accord d'Ankara la France consentit
à vendre à la Turquie des armes et du matériel de guerre pour une
somme de 200 millions de francs, entre autres des canons du type
Creusot et quelques avions.
Que reçut la France?
Conformément à l'art. 10, le gouvernement d'Ankara, en renonçant
à ses positions antérieures, accorda aux capitalistes français certaines
concessions, mais avec cette réserve bien essentielle: «si elles
ne sont pas en contradiction avec les intérêts nationaux de la Turquie».
En outre, la France eut la possibilité de concentrer toutes ses
forces militaires dans sa dépendance principale, la Syrie et d'en
renforcer les frontières.
La France tira aussi un profit moral et politique de l'accord d'Ankara:
son autorité en fut rehaussée dans ses dépendances coloniales musulmanes
qui accueillirent avec une grande satisfaction la fin de la guerre
contre «le Pays du Califat». «Les Musulmans sont heureux, a écrit
«Le Temps», de ce service rendu à l'Islam par la France, en laissant
le Califat à Constantinople et en lui sauvegardant toute son autorité».
Quant à la population chrétienne de la Cilicie même, elle fut prise
de peur et d'alarme. «L'accord d'Ankara, a écrit M. Paillarès, rédacteur
du journal «Le Bosphore» de Constantinople, a jeté dans l'angoisse
200 mille Ciliciens». Et les appels des autorités françaises et
turques invitant les populations chrétiennes à «rester sur place»
devinrent vains. Le prof. A. Mandelstam, qui connaît bien la Turquie,
a écrit: «Les terribles souvenirs des massacres de 1915 étaient
trop frais chez la malheureuse population arménienne pour qu'elle
pût avoir confiance en ces appels». L'éminent historien arménien
Léo avait raison de conclure que «les Arméniens du moins une seule
fois eurent la sagesse de ne pas se fier aux scélérats internationaux,
étant édifiés, bien sûr, par le fait que ces mêmes Kémalistes avaient
anéanti 20.000 Arméniens en Cilicie».
Le 4 janvier 1922 les derniers soldats français évacuèrent la Cilicie
et les districts y attenant. Entre temps, presque toute la
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population chrétienne, à l'exception de quelques milliers, en quittant
leurs lieux de naissance émîgrèrent vers la Syrie, la Grèce, Chypre
et d'autres pays.
A la conférence de Lausanne les puissances impérialistes occidentales
reconnurent les revendications nationales de la Turquie et dans
le même temps renoncèrent facilement à toutes leurs promesses concernant
la défense des intérêts légitimes des petits peuples, promesses
aux moyens desquels elles avaient trompé durant de longues années
ces mêmes peuples.
Les milieux dirigeants français surtout, à la poursuite des compromis
avec le gouvernement d'Ankara ont sacrifié facilement les intérêts
des Arméniens occidentaux et ceux des Arméniens de Cilicie victimes
du génocide de 1915. Les espérances des survivants rentrés en Cilicie
se sont écroulés à cause de la politique perfide de la bourgeoisie
française qui a servi aux Kémalistes dans leur politique chauvine
dans la question nationale.
En examinant la politique française à Lausanne il faut toujours
tenir compte de son aspect antisoviétique. C'était justement la
France qui à cette époque s'en tenait à une position la plus hostile
au pays des Soviets et qui faisait tout son possible pour empêcher
le rappochement soviéto-turc cherchant à utiliser dans ces buts
les milieux proimpérialistes de la bourgeoisie turque.
La Turquie en employant bien habilement dans, ses intérêts les
contradictions anglo-françaises et se tenant sur une ferme position
a remporté la victoire dans les questions les plus importantes parvenant
à la suppression totale des capitulations, de toute sorte du contrôle,
y compris le contrôle financier de la part des puissances impérialistes
et ce qui était l'essentiel pour elle—à la conservation de tous
les territoires de l'Empire Ottoman qui a perdu la guerre sauf les
parties lesquelles il n'était pas de force à faire rendre. C'est
pourquoi malgré les concessions de la Turquie aux pays impérialistes,
la diplomatie turque spéculant sur les contradictions des puissances
occidentaux a remporté une victoire importante à Lausanne.
Dans le traité de paix signé à Lausanne s'est reflétée également
la position de la Turquie dans la question de l'avenir de ses sujets
non-turcs, c'est-à-dire le rejet du droit de autodétermination des
Arméniens, des Kurdes, des Assyriens et d'autres.
En outre, la Turquie a refusé le retour au pays même ses légitimes
citoyens exilés de force de leurs propres habitations ou bien forcés
de les quitter provisoirement sous la menace d'extermination physique.
On voit avec évidence par rapport au triste sort des Arméniens
occidentaux y compris les Arméniens de Cilicie, l'issue favorable
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de la lutte libératrice de l'autre partie du peuple arménien celle
qui a lié sa destinée à la lutte révolutionnaire du prolétariat
de Russie, au peuple russe. Grâce à l'aide de la Russie Soviétique
le peuple de l'Arménie Orientale a établi dans son pays le pouvoir
soviétique et peu après la R. S. S. d'Arménie est entrée dans l'Union
des Républiques Socialistes Soviétiques égales en droits. Cet acte
historique a permi au peuple arménien d'obtenir pour la première
fois dans son histoire plusieurs fois millénaire la possibilité
de se développer en sécurité, fixant comme résultat les réalisations
remarquables dans l'édification du socialisme.
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